A l’achat de patrons de crochet, tu as peut-être déjà aperçu une mention encadrant la vente du produit final, mais aussi le partage de photos ou vidéos des réalisations et tu te demandes peut-être quel droit encadre tout ça.
C’est la propriété intellectuelle et c’est le sujet de l’article du jour !
Mini disclaimer : je ne suis ni avocat·e, ni juriste et ce qui est énoncé dans cet article se base sur les règles de droit en France.
Comme rappelé en fin d’article, en cas de doute, il convient de consulter un conseil, par exemple aux permanences de la maison du droit, ou en te rapprochant d’institution comme la chambre des arts et des métiers.
Les patrons, des œuvres de l’esprit comme les autres.
Si on veut s’intéresser au droit qui s’applique aux patrons, encore faut-il savoir exactement comment qualifier un patron, juridiquement parlant.
Lorsque l’on parle d’un patron, on a facilement la tentation de se dire que c’est plus ou moins un processus de fabrication, c’est à dire un ensemble d’instructions ayant pour objectif la création d’un produit.
Et à ce titre, on déduit rapidement que les lois s’appliquant sont celles de la propriété industrielle.
Pourtant si on y réfléchit deux minutes, ça semble plutôt aberrant, parce qu’un patron n’est pas pour autant un processus industriel au sens premier du temps.
Mais alors, c’est quoi, réellement un patron ?
Je te donne un indice en te rappelant que les patrons existent aussi sous forme de dessin technique (les diagrammes) et sous forme de vidéos (les tutoriels filmés).
Non, toujours pas ?
Et bien un patron, c’est… une forme de cours !
Le patron écrit, c’est la leçon comme dans un livre d’école, le diagramme, c’est un bon vieux schéma d’illustration et les tutoriels filmés, la même chose qu’un cours enregistré par des profs et mis en ligne ensuite.
Et les cours… ben ce sont des œuvres de l’esprit, quelle que soit la forme.
Et ça paraît logique, normalement pour produire un cours, on suit un processus créatif pour passer de la leçon abrupte à un support pédagogique, dispensable sous plusieurs formes.
Avoir un patron entre les mains, c’est donc comme avoir acheté un cours, un livre, n’importe quelle œuvre ayant nécessité une réflexion et une production personnalisée par son auteurice.
Les patrons tombent sous les mêmes règles de droit : la propriété intellectuelle.
Et cela a des conséquences légales que la plupart des gens méconnaissent, notamment en terme de contrefaçon.
Patrons et contrefaçon, une valse méconnue.
Comme on vient de le voir, un patron, c’est une œuvre de l’esprit, qui tombe sous la propriété intellectuelle.
Jusque là, ça ne casse pas trois pattes à un canard.
Sauf que si on réfléchit un peu, il y a une conséquence « fâcheuse » que tout le monde ou presque ignore bien volontiers :
IL EST INTERDIT DE REPRODUIRE UNE OEUVRE DE L’ESPRIT HORS CADRE PRIVE ET A TITRE GRATUIT, SAUF MENTION EXPRESS DE L’AUTEURICE !
Cette règle (du droit français, mais pas seulement) est la raison pour laquelle de nombreux patrons affichent une mention relative à la reproduction dudit patron, incluant la vente du produit final (parce que oui, un produit issu d’un patron en est une reproduction, ça ne s’arrête pas à la copie des instructions et c’est cohérent quand on y réfléchit un peu).
Mais surtout, cette règle est la règle par défaut : si aucune indication n’est présente dans le document, alors la reproduction est interdite.
Et là c’est le moment où tout le monde réalise que contrefaire un contenu peut se faire sans avoir la moindre volonté criminelle, sans même avoir conscience du fait qu’on enfreint la loi, car il est plus que fréquent de suivre un tutoriel sans rien demander à personne et se retrouver à vendre une contrefaçon.
Pire, comme c’est devenu la « norme » sur internet, il n’est pas rare de voir des vendeurses refuser d’observer l’interdiction au titre que « si iel a fait un patron pour qu’on puisse rien en faire, ça n’a aucun sens, je ferai et je me ferai pas chopper ».
Outre le fait que c’est une insulte au milieu de l’artisanat (vous êtes moins vaillant·e·s face aux autres industries de l’art, pourtant c’est le même droit appliqué), si tu joues à ça, tu risques surtout beaucoup plus cher si tu te fais prendre.
Et c’est la raison pour laquelle, quand on a un doute (ou qu’on a choisi de faire une immense connerie légale), il est de bon ton de demander l’avis d’un conseil.
Les risques (et autant de bonnes raisons de faire appel à un conseil).
Le problème de la propriété intellectuelle, c’est qu’elle diffère selon le pays de la personne qui a créé l’œuvre et le pays de la personne qui l’achète.
En France, si tu crées un patron, il est protégé par la propriété intellectuelle et les gens qui le reproduisent sont contrefacteurices, peu importe leur pays (par contre, le pays importe en cas de procès, pas merci la non harmonisation des lois sur un plan international).
Si tu achètes un patron, le sachant contrefait, et que tu produits un contenu que tu vends ensuite, sur sa base, tu es aussi contrefacteurice, peu importe l’origine de la personne l’ayant créé.
Du coup quand une personne te dit « non mais la loi sur le droit d’auteur s’applique pas chez moi, je copie comme je veux », c’est faux; peut être que dans son pays les patrons ne tombent pas sous copyrights (c’est le cas de plusieurs états aux USA, par exemple) mais ça n’annule pas la loi applicable dans le pays d’origine du patron.
Et du coup ça se passe comment si on dépose plainte et que le dossier est instruit ?
Si je modifie juste une portion du patron, est-ce que je contourne la loi ?
Ahahaha, nope.
Je ris un peu parce que ça revient à demander « si je copie 80% d’un film et que je change la fin, est-ce que j’ai le droit ? » et je sais que tu connais la réponse à la question si tu es honnête avec toi-même.
Et on va arriver au point de droit le plus simple et à la fois étrange : comment on tranche.
Et c’est simple : on compare.
Littéralement.
Contrefaçon du patron écrit ?
On regarde le pourcentage de similitude des instructions.
Contrefaçon de la reproduction matérielle ?
On regarde à quel point le modèle final est semblable à l’original.
Semblable.
Si tu t’amuses à reproduire un patron en changeant les points pour que le patronage écrit soit totalement différent mais que l’apparence, elle, reste globalement identique, game over.
Et c’est le point où il vaut mieux avoir contrefait involontairement (j’ai suivi un tuto / j’ai suivi un patron acheté et non porteur de mention / j’ai pas vérifié ce que disait la loi) que d’avoir sciemment contourné une mention d’interdiction de reproduction.
Evidemment la quantité joue aussi.
Si on t’attrape à avoir vendu une robe de mariage, pour une somme couvrant le matériel seulement, à une bonne amie, sans avoir l’intention d’en refaire un jour, parce que tu as suivi un tuto et que tu avais pas pensé à demander l’autorisation, tu vas t’en tirer avec une petite tape sur les doigts et un rappel à l’ordre, surtout si tu présentes des excuses.
Si on t’attrape à avoir produit 200 exemplaires et à en avoir écoulé une dizaine, sur la base de patrons achetés un site spécialisé (comme ravelry) avec une mention claire d’interdiction de vente ou alors en quantité très restreinte, évidemment que tu vas davantage le sentir passer, on parle de contrefaçon avec récidive; ok tu n’as pas l’impression de revendre des faux de Picasso ou Monet, mais c’est le même principe légal, nonobstant.
« Et si j’ai vu ça en tuto, mais qu’en fait, c’est hyper classique à faire ? »
C’est une vraie bonne question et l’accusation va devoir démontrer que c’était nécessaire de suivre CE tutoriel, ou de posséder TEL patron pour arriver au même résultat.
Un exemple très simple : au crochet, il existe une base universelle pour faire des bonnets et il existe une vingtaine de motifs considérables comme tombés dans le domaine public (les coquilles, les épis avec des points puff, etc).
Si demain tu crées un bonnet en combinant la base universelle et un motif que tu maîtrises à la perfection et qu’on t’oppose l’usage d’un patron sans autorisation de reproduction, alors l’accusation devra prouver que tu n’as pas pu faire autrement.
Et personne ne prendra le risque de poursuivre en contrefaçon pour une production simple (bonnet, châle, etc).
Le risque grandit avec la technicité requise.
Si tu produits une peluche, des bijoux, des miniatures, bref, des choses nécessitant des instructions vraiment hyper spécifiques, là oui, la question va se poser.
Et elle se pose même plus profondément : quid des cas où tu achètes un patron qui autorise la reproduction et la vente du produit final alors que le sujet du patron est un produit sous licence ?
Et je pense notamment à des amigurimi Pokemon, Zelda, etc.
Et la réponse est : à moins qu’il soit écrit noir sur blanc que le patron bénéficie d’une autorisation de licence ou que la personne qui le vend endosse les risques liés, il faut demander à un conseil.
Parce qu’encore une fois tu pourrais te dire « ah ben non, si la personne le vend, tant pis pour elle, c’est elle qui est en tort », sauf qu’en France (et dans plusieurs autres pays), ça pourrait relever du recel de contrefaçon (la justice considérant que l’achat de contrefaçon contribue au modèle économique des contrefacteurices et faisant des acheteurses des complices, en quelque sorte).
Bref, de toute façon si tu fais payer tes créations, tu as une activité pro et si tu as une activité pro, il vaut mieux que tu aies un conseil en numérotation rapide sur ton smartphone 😉